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PATRICE BALLESTER / Le Marvel Cinematic Universe (MCU) et la ville simulacre

PATRICE BALLESTER / Le Marvel Cinematic Universe (MCU) et la ville simulacre

« Ils ont quitté la grande ville pour une vie tranquille. WandaVision !

C’est une fille magique, dans une commune de banlieue… »

WandaVision. WestView (2021)

Avec la mort de Stan Lee, le 12 novembre 2018, les hommages à l’échelle de la planète ont souligné une forte personnalité et un visionnaire dans le domaine du divertissement et du marketing des loisirs. Les super-héros[1] sont dorénavant des figures quotidiennes dans notre vie de tous les jours, complétement incorporés dans la communication- distribution-consommation culturelle de masse.

Nos propos se portent comme un essai de cultural studies qui se veut par la méthode un recensement non exhaustif des images de la ville dans l’Univers Cinématographique de Marvel (Marvel Cinematic Universe – MCU)[2]. Nous avons aussi une approche didactique nous permettant de connaître, percevoir et d’analyser les représentations de celles-ci, dans le fait d’entrevoir une sorte de transposition entre les films et les modes de viede nos sociétés à travers les espaces publics et les grandes infrastructures-équipements urbains. Entre une vision complexe mettant en lien la pop culture, la culture de masse et la vision générique de la ville globalisée, les appareillages des films MCU transposent du cinéma à la ville et de la ville au cinéma une vision simplifiée et/ou héroïque du geste urbain. En fait, de quoi les villes du MCU sont les témoins et le simulacre de notre monde post-moderne ?

Il faut souligner que la globalisation des cultures s’exprime à travers un prisme simplifié de la ville réinventée par la sphère cinématographique et les grands groupes commerciaux de divertissement recherchant la communication à outrance, tout en renforçant l’attractivité des métropoles mises en scène et en récit, mais aussi nous amenant à repenser la ville telle que nous la connaissons et la comprenons[3].

Il convient de poser dans une première partie la définition du MCU et la part importante des villes comme décors des aventures du super-héros. À cela, nous devons prendre en compte le cadre général des ambitions du super-héros dans une ville contemporaine ou le mode « d’habiter » renvoie à une ville post-moderne reposant bien souvent sur trois thématiques : la ville du chaos, la ville esthétisée et la ville utopique. Ces trois environnements impliquent une rencontre entre le quotidien et l’extraordinaire à travers les aventures des super-héros. Puis, dans un dernier temps, il sera question de la retranscription dans notre monde contemporain des éléments filmiques du MCU. Le cinéma des superproductions est-il capable de créer une histoire parallèle de la ville, tout en présentant une narration fictive de celle-ci pour faire parfois office de support auprès d’acteurs politiques, économiques et touristiques ? Au-delà, la marvelisation des villes existe-t-elle à travers le MCU et sa vingtaine de films ?

La mondialisation des super-héros

Il faut bien se rendre compte que « la mondialisation des super-héros »[4] est en marche depuis 2008 grâce au MCU et à ses records d’entrée au cinéma, ce processus marketing savamment réfléchi s’associe à une humanité dont plus de la moitié de sa population réside en ville et s’identifie à celle-ci comme lieu de vie et d’espace public mis en commun. Les super-héros en deviennent des mythes, ils édifient une nouvelle mythologie contemporaine païenne connue de tous pour devenir un enjeu culturel de premier plan.

Marketing, ville et super-héros

Effectivement, la mondialisation des super-héros s’entrevoit grandement avec le MCU, incorporant au cinéma les principaux super-héros issus de la maison d’édition américaine, Marvel Comics. Le MCU est une habile planification par les studios Disney et Marvel pour diffuser durablement leurs œuvres, les personnages et les produits dérivés auprès d’un public-client en assurant le succès et la relation entre chacun des films par une mise en récit scénaristique sur le long terme. Cette stratégie – le marketing scénaristique du MCU – se divise pour le moment en quatre phases distinctes.

Chaque phase ayant un objectif, un type de contenu et un mécanisme scénaristique rodé se clôturant régulièrement par un film Avengers rassemblant tous les super-héros et révélant ou résolvant les enjeux scénaristiques à travers cette phase.

À ce titre, la phase 1 établit l’idée d’un univers interactif à travers des histoires se focalisant sur un personnage bien précis ; la phase 2 présente et rassemble une partie des personnages inter franchises avec un début de continuité inter films, quant à la phase 3, elle regroupe des intrigues étalées sur plusieurs films et se clôture par Spider-Man : Far From Home. Actuellement, la phase 4 retardée par la pandémie mondiale de la Covid19 détient comme objectif de redynamiser l’univers Marvel alors que les arcs scénaristiques commencés en 2008 sont finis et que le rachat des studios de la Fox permet l’arrivée probable de super-héros comme Namor, les X-men, les Éternels, les Inhumains et les 4 Fantastiques ainsi que de nombreuses séries TV[5]. De nouveaux héros et une partie déjà présentée dans les films précédents prendront la relève pour poursuivre l’un des concepts les plus ambitieux des superproductions américaines depuis la création de l’industrie cinématographique avec comme seul parallèle possible dans le domaine de la longévité en Occident les franchises James Bond, Star Trek, Star Wars ainsi que le Doctor Who (une série anglaise). Un concept scénaristique où le spectateur novice et l’amateur de comics sont mis sur un même pied d’égalité, un système rentable autorisant complétement le concept de franchise, mais avec un caractère relatif en termes de succès critique et artistique.

À cela, les producteurs et les scénaristes désirent entretenir un lien dans le temps en annonçant les prochains films par des scènes post-génériques, mais aussi en proposant de nombreuses références cachées easter-eggs, sur plus de 11 ans jusqu’au film Avengers : Endgame (2019), où se retrouvent de nombreuses allusions aux éléments scénaristiques mis en place dans les 23 films du MCU en prenant en compte les comics et les scènes post-génériques.

Le succès est notable avec pour chaque film, une ville mise en avant comme New York, San Francisco, Washington, Londres, Édinbourg, Seoul, Busan, Bucarest, Lagos, Johannesburg, Monaco[6]

À cela, des villes imaginaires sont mobilisées comme Birnin Zana ou Golden City pour Black Panther ou Novi Grad la capitale imaginaire de Sokovie dans Avengers : l’Âge d’Ultron (2015).  Des mondes urbains extra-terrestres sont présentés comme sur la planète Xandar avec sa capitale technologique dans les Gardiens de la galaxie (2014). Si l’on prend en compte les films de la franchise, tous font référence à des événements importants qui se déroulent en ville ou avec la métropole mondiale en guise de décor générique. À l’échelle de la planète, on obtient une reconnaissance aisée de ces paysages par les spectateurs à travers l’uniformisation des modes de vie et des paysages pour les habitants.  

Le monde urbain comme théâtre des ambitions des super-héros

Il faut souligner que notre monde voit la moitié de sa population mondiale passer la barre symbolique des 3,3 milliards d’habitants vivant dans un environnement urbain ou région dite urbaine en 2008, selon les statistiques de la division de la population de l’ONU, un être humain sur deux habite maintenant en ville. Ils n’étaient qu’un sur dix au début du XXe siècle. L’Homo sapiens est ainsi devenu majoritairement Homo urbanus. D’ici 2050, pratiquement sept personnes sur 10 (68 %) vivront probablement en milieu urbain contre à peine plus d’un sur deux (55 %) actuellement.

Le cadre des ambitions surhumaines des super-héros s’en trouve bouleversé au plan cinématographique où la franchise MCU se veut un nouveau référent identitaire mondial au même titre que le monde magique de Walt Disney et dont la diffusion doit être mondiale y compris en Chine, en Inde et en Afrique (malgré de petits marchés pour les deux derniers). Il est vrai que si l’on reprend certains opus de la franchise trois éléments reviennent constamment dans la vision générique de la ville : la densité de la population et ses dangers comme pour Captain America Civil War (2016) et la ville de Lagos, la structure de l’agglomération au plan utopique ou de sa destruction dans son ensemble comme la capitale de Sokovie ou bien la Capital City de Xandar avec sa grille d’urbanisme utopique facilement identifiable, mais aussi les repères administratifs ou culturel-touristiques, les landmark comme les tours de New York, les fronts de mer et les maisons individuelles de maître ou contemporaines de San Francisco pour les décors des aventures de Ant-Man (2015) par exemple.

Ce phénomène d’identification géographique, culturel et visuel n’est pas nouveau, il faut bien prendre en considération toute l’histoire et la littérature du cinéma pour voir comment les critiques et historiens du cinéma ont à maintes reprises pris en compte l’importance de ce décor – scène- visuelle – symbole – cadre d’aventure – de la ville comme reflet de nos sociétés. Pierre Sorlin (1999)[7] rappelle bien qu’à la différence du décor fruste ou parfois vide de la scène de théâtre, le cinéma a progressivement intégré le cadre géographique de l’action comme opérateur essentiel de l’image et du sens. L’arrière-plan urbain devient ainsi un élément dramatique attractif ou répulsif selon les cas et les genres. De décor typique situant l’unité de lieu, la ville se fait protagoniste de l’intrigue quand elle ne se retrouve pas en « personnage ultime » qui joue sur le destin des hommes. Ces exemples éclairent quelques-unes des stratégies par lesquelles des films utilisent la scène pour construire ou faire évoluer leurs personnages. Lors de la scène, introductive de Endgame, on retrouve dans la campagne la famille de Clin Barton, alias Œil-de-Faucon HawKeye, il constate la disparition de sa femme et de ses enfants dans une prairie pour ensuite devenir un héros vengeur sans âme et empreint de haine dans un quartier à l’ambiance sombre de Yakuza au Japon.

En fait, la ville devient une « scène » comme dans un théâtre où ces représentations sont un décor mondialisé, avec une indication géographique destinée à donner au spectateur une impression de déjà connu. Enfin, la ville est un lieu de personnalisation du héros ou bien d’aide à la compréhension de sa construction identitaire.

Nous assistons à une supra-esthétique du monde urbain des super-héros et des spectateurs-clients qui exploitent un registre d´hyper-réalité en lien avec des identifications de symboles urbains mondiaux.

Entre mythologie moderne et banalité du monde urbain

Contrairement à l’univers DC Comics, Stan Lee, Jack Kirby et Steve Ditko proposent d’incarner leurs super-héros dans la ville de New York avec notamment Spider-Man. Il s’agit de montrer une ville miroir en parallèle pour proposer une identification réussie et amplifier de la vie sociale et dite de « tous les jours » dans des aventures de super-héros oscillant entre le banal et l’extraordinaire[8].

Le plan officiel du New-York des Super-Héros, éditions Marvel, Encyclopédie Marvel de A à Z, Volume 4 de Impossible Man à Marauders, p.67. 

À ce titre, la mondialisation des super-héros est corollaire de la stratégie sur le long terme à vouloir incarner les lieux de vie et d’aventure des personnages filmiques au sein de la cité – polis – devenue cadre et décor supra-esthétique de la « scène » mondiale problématisant les super-héros. Cette politique aboutit, au même titre que les aventures en bande dessinée des super-héros, à une mythologie du héros de la Grèce antique devenant de plus en plus tributaire des utopies et des circonstances extraordinaires allant parfois jusqu’à la destruction de notre monde et de la cité. Le cheminement du spectateur peut être rapprocher aux anciens lecteurs de la mythologie gréco-romaine. Des demi-dieux comme Hercules et de simples mortels comme Ulysse connaissent des aventures philosophico-religieuses sur le sens de la vie à travers le pourtour méditerranéen arpentant des paysages ruraux, maritimes et urbains familiers à tous les lecteurs ou locuteurs[9]

En conclusion partielle, la scène urbaine devient un horizon mouvant qui constitue un défi pour les protagonistes, comme un arrière-plan que les films du MCU utilisent pour construire ou « problématiser » le cadre des personnages ou du héros mythique qui s’incorpore dans un monde réel ou utopique.  

Les déclinaisons et recompositions des villes du MCU

Il faut bien reconnaître que les films du MCU proposent des utopies, des décompositions – recompositions urbaines – de villes parallèles en grand nombre pour asseoir des scénarios de plus en plus aboutis dans le domaine des effets spéciaux.

Ville utopique et afro futurisme : Birnin Zana ou « Golden City »

C’est avec le royaume du Wakanda, un pays africain fictif présent dans le MCU et les comics Marvel que le modèle utopique ou futuriste de la ville s’entrevoit.  Cet État imaginaire a été créé par le scénariste Stan Lee et le dessinateur Jack Kirby pour représenter la ville et le royaume de Black Panther, ce pays apparaît pour la première fois dans le comics book Fantastic Four n° 52 en juillet 1966.

Une représentation de la cité idéale sans défaut se fait jour, isolée du reste du monde, de la globalisation, mais intervenant avec son gouvernement en cachette, une ville durable, futuriste, écologique-verte et parfois contradictoire avec la réalité d’une Afrique actuelle se propose. Black Panther (2018) reprend le concept d’afro futurisme, racontant l’histoire d’une société africaine ultradéveloppée qui n’a jamais été affectée par l’esclavage et le colonialisme, tout en conservant une composition ethnique homogène. Films et comics ont un grand impact sur la culture populaire américaine, une sorte de possibilisme géographique positif, à savoir une certaine approche des rapports entre l’homme et son environnement, en symbiose, dont l’exploitation du milieu par les acteurs du territoire est faite en fonction des techniques et des stratégies que ceux-ci développent, tout en tirant en plus sa force de son histoire et de ses traditions[10]

Dans un pays largement rural, une capitale se fait jour dans la scène d’introduction du film, c’est une ville cachée qui détient un pouvoir par rapport à toutes les autres nations et métropoles du monde grâce un développement technologique avancé permis par un minerai extra-terrestre présent au Wakanda, le vibranium. Une ville technologique, futuriste et minière s’entrevoit, Birnin Zana créditée de « Golden City » – la Cité d’Or – dans les comics et en surimpression dorée dans le générique de fin du film à travers la silhouette de la ville. Elle fait référence à l’Eldorado mythique des conquistadors. La cité est présentée à travers l’arrivée du prince T’Challa à bord d’un appareil de transport ultra sophistiqué, le réalisateur utilisant des plans larges avec des panoramas montrant la forme d’une ville et une architecture de gratte-ciel afin de donner une atmosphère et identité particulière à la cité entre nature et artificialité.

Nous assistons à la naissance d’une métropole originale, mais plus on parcourt la ville, plus on comprend que celle-ci est de forme classique avec des gratte-ciel, des bâtiments de tailles intermédiaires, mais aussi une présence abondante de la verdure ou de matériaux organiques. La végétation est très présente au même titre que dans les rues ou façades des immeubles, c’est une métropole jungle qui s’offre à nous avec de plus en plus de détails ; le spectateur peut alors entrevoir et interpréter la ville comme un amalgame d’acier, de verre, de béton, mais aussi des éléments en bois, des toits de fourrages africains et des jardins en suspension.

Les designers et responsables des effets spéciaux ont eu recours à une vision utopique que l’on peut définir en quatre étapes : a/ se reposer sur des modèles de villes africaines et/ou occidentales pour réaliser les grandes infrastructures dont les gratte-ciel ou palais, b/ mettre en avant des architectures déjà existantes sur le continent africain et les rendre plus lisibles pour le spectateur en les déformant ou redimensionnant leurs formes (plus massif ou longiligne = permettant de renforcer les panoramas), c/ s’inspirer des comics et des nombreuses Encyclopédie Marvel, d/ inclure leur propre vision de la cité africaine moderne.  On caractérise un processus amenant à des amalgames entre des représentations artistiques des différents comics de la capitale du Wakanda et l’apport de sa propre histoire artistique de décorateur de film à partir d’un effort de documentation sur l’architecture africaine.

On le remarque, les sources d’inspiration architecturales du chef décorateur Hannah Beachler sont très nombreuses[11], celle-ci puise dans les traditions anciennes de l’Afrique australe avec le palais royal de Black Panther dont les façades hérissées de poutres rappellent la mosquée Djingareyber de la ville malienne de Tombouctou, où les mosquées construites aux XIVe et XVe siècles sont réalisées à l’aide de briques de terre renforcées de madriers en palmier.

L’aspect pyramidal de certains bâtiments de la ville évoquent la pyramide d’Abidjan, un édifice de la capitale ivoirienne réalisé lors de la période dite du  « miracle ivoirien », un grand essor économique du pays, pendant les décennies 1960-1970. Il en est de même avec le « sablier doré », la tour Namemba ou la Tour Elf réalisée à Brazzaville par Jean-Marie Legrand en 1986, et que l’on retrouve dans le patchwork réalisé par les artistes informatiques du film. En fait, c’est d’un royaume dont on parle, un royaume africain regroupant ou synthétisant toutes les formes de vie et d’architecture du continent pour rendre un concept de ville utopique alliant la légende de Black Panther dans un pays imaginaire. Ce royaume du Wakanda propose des paysages urbains et vestimentaires ainsi que des ornements corporels venant de toute l’Afrique rurale parfois, mais incorporé à un monde urbain par la costumière Ruth E. Carter : c’est criant pour la garde royale aux habits de guerriers Massaï et parures Turkana. Il en est de même pour les bijoux et turbans Touaregs pour la tribu des marchands, ainsi que de la coiffure Himba de Namibie, tresse recouverte de glaise pour la tribu des mines, sans oublier les tissus kenté du Gahna…

Quant au réalisateur, il propose lors des déplacements des protagonistes en ville une vision non moderne de celle-ci, encore moins contemporaine, à savoir le fourmillement des piétons en contrebas, la présence de nombreuses boutiques et étales de commerce dans un environnement piéton sans voiture ni quartiers pauvres et quelques transports en commun que l’on suppose durables.

Mais entre réalité et imaginaires urbains, les flâneries informatiques et digitales d’une ville en quête de rédemption, car se voulant un modèle, mais n’aidant ni n’accueillant de réfugiés de son continent à cause du secret portant sur le vibranium, on aboutit à un environnement irréel et déconnecté de la réalité. La volonté du réalisateur est de nous montrer le dynamisme d’une ville africaine singulière, un modèle à la fois utopique et se voulant crédible, dans une variation au modèle de la grande métropole occidental. Les inégalités ou les problèmes géostratégiques au sein du Wakanda, se font de plus en plus jour comme l’enlèvement de jeunes filles de Chibok en avril 2014 au début de film (référence à Boko Haram). La vision géopolitique et géostratégique du Wakanda et de sa capitale offre au scénario un retournement salutaire et donc commun à toutes les villes au régime démocratique ouvert : accueillir les réfugiés, défendre les plus pauvres. C’est le cas dans Avengers Infinity War (2018) : être le centre du monde et de la bataille contre Thanos afin de protéger la terre – de nouveau en zone rurale pour faciliter les prises de vue et effets spéciaux – la planète et ses habitants de la disparition de la moitié de ses habitants.

D’ailleurs, on retrouve cette facilité scénaristique, mais ô combien efficace, en opposant ou bien assimilant la capitale du Wakanda en Afrique comme une utopie avant-gardiste pleine de promesses et d’espoir versus la ville d’Oakland en Californie aux États-Unis comportant sa célèbre Killing Zone aux très nombreux meurtres provoqués notamment par le trafic de drogue. Les scénaristes n’ont pas pris cette ville par hasard, elle est le berceau du mouvement politique et revendicatif Black Panther créée par Huey Newton et Bobby Seale dans les années 1960. Au tout début du film, le méchant « Killmonger » –  celui qui répand le carnage – se retrouve, dans sa jeunesse face à un drame dans un décor urbain qui se satisfait de nous montrer la pauvreté résidant dans un quartier ethnique afro-américain en omettant toutefois la violence et le trafic de drogue. De Oakland au Wakanda, un espoir est possible après tant d’années et surtout un basculement entre une ville très importante au plan historique pour les Etats-Unis avec l’apparition d’un mouvement revendicateur afro-américain et un royaume en forme de promesse.

En fin de compte, on interroge dans le futur la condition de vie dans le présent d’un groupe ethnique qui devient un modèle de développement par un retour aux origines concernant un peuple et une capitale n’ayant jamais connu l’esclavage ni la colonisation. C’est une combinaison entre science-fiction, innovation dévoyée, magie et cosmologie africaine. Il s’agit d’interroger un peuple et sa marche à suivre qui par la technologie oblige son pays et sa capitale à se situer dans un territoire paradoxalement inaccessible.

À cela, la mondialisation fait que le tournage du film, n’a jamais pris pied sur le continent africain, au contraire, les prises sont réalisées en studio avec des décors de synthèses et des paysages de Géorgie et à Atlanta « le second Hollywood ».

De nombreux clichés sont présents, mais inversés, l’objectif étant de réinterroger l’avenir – WHAT IF – à partir d’un possibilisme artistique et cinématographique d’une nation africaine en guise de modèle. La réalité est parfois moins élogieuse quand on considère le devenir actuel de symbole urbain ayant servi à la Skyline – silhouette – de la capitale du Wakanda.  Par exemple, la pyramide d’Abidjan, lieu d’une bourgeoisie et classe moyenne des années 1980 est devenu un centre commercial désormais abandonné et fermé au public. Les autorités sont en quête de solution durable pour sa rénovation et emblème souhaité d’un renouveau touristique à venir…[12]

Il n’en reste pas moins qu’un autre aspect consubstantiel des villes des super-héros MCU existe, montrant une autre facette en lien direct avec les scénarios et les caractéristiques mêmes des super-héros, à savoir : la destruction de la ville et la destruction du monde par une menace ultime.

Le MCU ou la destruction comme mode opératoire ?

Détruire une ville n’est pas anodin, protéger la ville aussi quand on est un super-héros, cela implique des devoirs, des doutes, des exploits, voire des arrangements… Le MCU impose très souvent à travers la ville de New York la finalité qu’encourent nos civilisations, le fait de voir disparaître toute une culture par « l’évaporation » de ses habitants et la destruction de la cité.

Avengers, guérilla urbaine à New York avec la tour Stark, affiche du film, dossier presse, 2012, Marvel Studio, copyright.

Le cadre est souvent de mettre en avant à la fois la vie urbaine, les combats de rue (Docteur Strange, Iron Man, Spider-man et Hulk à New York face aux sbires de Thanos) et en même temps l’impossible qui devient réalité, la disparition de la moitié de l’humanité. C’est, par exemple, Thanos dans Infinity War qui indique à Thor qu’il a commis une erreur en ne l’ayant pas visé à la tête et, de sa main gantée, claque des doigts, libérant le pouvoir des Pierres d’Infinité et supprimant la moitié des vies de l’univers. Les soubresauts de cet acte se comprenant encore mieux par la disparation d’une partie des super-héros dans la forêt du Wakanda et surtout lors de la scène post-générique où à New York, Nick Fury fait appel à une hypothétique super-héroïne tout en disparaissant et montrant des scènes de chaos dans un New York où un hélicoptère percute un gratte-ciel.

Il est vrai que New York est l’une des villes les plus souvent détruites au cinéma. Entre catastrophe naturelle, attaque extra-terrestre, guerre nucléaire,  pandémie, celle-ci est régulièrement victime d’attaques extraordinaires. Dans le film Avengers (2012), de Josh Whedon, l’équipe de super-héros des comics Marvel combat une invasion d’extra-terrestres. New York se retrouve défigurée et en partie détruite avec des vaisseaux spatiaux s’écrasant sur des tours comme lors du 11 septembre 2001.

D’ailleurs sur le plan de la réalisation et du fait de montrer aux spectateurs des scènes de guérilla urbaine, les caméramans et la production ont décidé d’utiliser pour des scènes rapprochées et embarquées dans des voitures, des appareils photographiques Canon EOS : « Ils sont parfaits pour prendre des angles supplémentaires qui donnent aux monteurs davantage d’options pour créer des vues puissamment immersives et kaléidoscopiques des scènes d’action ».  Seamus McGarvey (Cinematographer, The Avengers)[13].

Ceci est une stratégie et un atout supplémentaire pour les réalisateurs voulant montrer des scènes dont il est impossible de loger une caméra pour saisir des points de vue particuliers à la focale très réduite dans certains endroits. On ne peut alors que loger un reflex et non une caméra dans une posture de réalité augmentée et de prise de vue dramatique parfois plus criante de vérité. Enfin, la capture des scènes d’action par un faible encombrement rend l’appareil relativement invisible aux yeux des autres caméras qui tournent la même scène. Jonathan Taylor, rappelle qu’en matière de film d’action, plus on filme sur différents points de vue et plus le montage est facilité et devient réaliste en zone urbaine. Quant à Kevin Feige, il rappelle qu’une vision du combat urbain des Avengers doit être la plus réaliste possible et s’appuyer sur une « rencontre » entre le décor réel et les effets spéciaux[14]: « Lorsque vous insérez des effets visuels numériques dans un décor réel, il faut que les deux fusionnent parfaitement. […] Pour nous, l’idéal, c’est 100 % de réel. Après, c’est une affaire de compromis. James Chinlund a effectué un travail remarquable en concevant cette rue, car il a réduit au minimum les éléments à retoucher numériquement ».

Néanmoins quand en 2019 Avengers Endgame sort au cinéma, la scène finale Avengers Assemble doit être pensée et réalisée, il devient alors impossible en milieu urbain de réaliser le rassemblement et la bataille finale contre Thanos à travers le regroupement de milliers de protagonistes dont des super-héros et des méchants avec leurs troupes. Il faut à nouveau au plan scénaristique faire sortir les super-héros de la ville, les amener au QG des Avengers et mettre en avant une scène sur un champ de bataille en campagne environnante de New York.

Une architecture contemporaine et des déclinaisons ésotériques

Enfin, après l’utopie et la destruction, c’est la ville esthétisée[15], contemporaine, à l’architecture internationale qui est proposée par les films du MCU. La ville du Doctor Strange, le gratte-ciel des Avengers et la maison de Tony Stark à Malibu en deviennent des éléments récurrents et à reproduire pour la licence Marvel comme dans un avenir proche avec le Baxter Building des 4 Fantastiques.

Il faut souligner que le film Avengers (2012) comporte une foule de plans aériens, et de prises de vue de New York, la grande métropole symbole de la verticalité par son architecture, mais aussi à travers la démesure de ses gratte-ciel, symboles de fonctions économiques et politiques parmi lesquels on retrouve la Tour Stark, théâtre de plusieurs scènes, et qui devient l’un des enjeux du film.

Ce bâtiment imaginaire de la Tour Stark résiste dans le film à la catastrophe et à une invasion extra-terrestre au contraire de la réalité et des deux tours du World Trade Center, le 11 septembre 2001. C’est une volonté des scénaristes de montrer des vaisseaux s’écrasant sur des tours, tout en laissant pratiquement intact et comme symbole de résistance la Tour Stark. Cette infrastructure est facilement identifiable, à savoir :  un édifice immense et délibérément imposant, localisés dans le quartier de la finance ; le CBD de Manhattan en l’occurrence.La tour représente la fois la réussite du magnat industriel à qui tout réussi, mais en même temps la fragilité de sa personnalité et de la ville.

En fait, les effets spéciaux sont bien pratiques, même quand on ne peut pas construire légalement un décor sur un littoral protégé comme pour la maison d’Iron Man. Elle devient par sa destruction totale un objet des premiers temps du scénario de Iron Man III.  Celle-ci est créée sous la direction du producteur des décors et designer du film Michael Riva pour remplacer une maison contemporaine de San Diego ayant servi de décor pour les premiers opus. Il fait reposer son modèle d’architecture sur Kevin Cross d’après un crayonné de Phil Saunders ingénieur 3D, en fait inspiré par l’architecture des maisons individuelles du célèbre architecte John Lautner et de Frank Lloyd Wright[16]. Dans le film, la villa de bord de mer du protagoniste, Tony Stark, se situe à Point Dume, au bord d’une falaise surplombant l’océan Pacifique. Or, dans la réalité, point Dume est une zone protégée de la municipalité – comté de Malibu. La construction sur les falaises est en réalité strictement condamnée par le droit littoral. La villa est incorporée numériquement sur les falaises de Malibu en post-production à l’adresse fictive de 10880 Malibu Point, 90265 Malibu, Californie, États-Unis.

Tony Stark est en fait un homme d’affaires avec une entreprise et un foyer qui bat de l’aile et voit dans la destruction de sa maison en début de film le reflet de ses erreurs malgré tout le concentré de technologie présent et de maison refuge. Une demeure personnelle, un sanctuaire et un laboratoire de l’innovation qui va connaître la destruction, mais impliquant une identification avec toutes les autres villas de stars de Malibu au style futuriste caractéristique d’une vision internationale de l’architecture que l’on soit à Hainan, Marbella ou Sydney[17].

Enfin, c’est avec le film Doctor Strange (2016) que l’esthétisation de la ville mondiale est poussée à son maximum à travers la « forme astrale » du personnage, une aptitude lui permettant de devenir un super-héros dans une ville pour renforcer son pouvoir et sa capacité à maîtriser les paysages et les hommes d’une cité. Le « voyage astral » est une expression de l’ésotérisme qui désigne l’impression que l’esprit se dissocie du corps physique pour vivre une existence autonome et explorer librement l’espace environnant. Il existe plusieurs synonymes de cette expression incluant « expérience hors du corps », « projection astrale », « voyage hors du corps ». Cet élément a pour conséquence de réaliser le double décalé, inversé d’une ville en mouvement pour des effets spéciaux reconnus lors de la sortie du film. Il nécessite alors beaucoup de travail en post-production : « Le Manhattan pliant est connu en interne sous le nom de Mirror Sequence.  Le concept d’une existence ou d’une conscience en tant que « corps astral » séparé du corps physique a été bien discuté dans diverses formes d’ésotérisme, – Mais ILM devait encore déterminer à quoi cela ressemblerait réellement à l’écran. Au fur et à mesure que le film progressait, le travail sur le corps Astral s’ajustait vers d’autres retouches et ILM se concentrerait principalement sur les vastes séquences de New York et de Hong Kong ».

Le New York astral, Doctor Strange, 2016, Marvel Studio, copyright.

La ville devient malléable, esthétisée, avec des collages insensés, le manoir du Doctor Strange en plein New York devenant le réceptacle de toutes les ambitions et promesses à partir de tour de magie, sans parler du fait qu’elle est la seule porte d’entrée de multiples dimensions et d’univers parallèles à la Terre – un point focal de la planète et d’axe cosmique à travers le temps et l’espace. Nous avons comme exemple une ville fractale, à savoir une ville issue des mathématiques sous le principe du kaléidoscope démultiplié, nous assistons à un décor qui se plie, se moule, se clone et se reconfigure, ce paysage urbain voit ses origines dans les mathématiques, l’informatique et la géométrie fractale devenant organique par la « forme astrale ». La ville permettant comme dans Inception (2010) de donner des décors urbains beaucoup plus en phase avec les pouvoirs magiques du Doctor Strange, mais en même temps plus parlant et intégrant des événements scénaristiques dont le paysage de campagne du Massachusetts aurait eu plus de mal à donner de sens dans le domaine des bagarres par exemple ou chevauchement des immeubles.  

En conclusion de cette deuxième partie, il faut bien reconnaître que tous les facettes de ce que l’on peut attendre d’une ville et de ses évolutions, recompositions, miroir et risques sont proposés par le MCU, reprenant de vieilles pratiques cinématographiques des premières années du cinéma comme le cache, contre-cache, l’animation en volume, la surimpression et l’arrêt de caméra.  Les opérateurs mettant à jour ces procédés par une post-production de qualité ou bien allant dans un travail sur les effets spéciaux inédits permettant de mettre en avant un simulacre de ville ou bien les éléments identitaires et indéniables des grandes métropoles mondiales.

Mais alors, les films du MCU sont-ils des réceptacles et en même temps des sources d’inspiration pour les acteurs urbains et du divertissement ?  Une marvelisation des villes existe-t-elle ?  

Vers une marvelisation tourisitico-culturelle des villes ?

C’est avec la Tour Menara Telekom de Kuala Lumpur en Malaisie, ayant inspiré la Tour Stark que l’on peut souligner les liens étroits entre image de la ville au cinéma et image de la ville au plan économique. Lors de la sortie du premier Avengers en 2012, celle-ci fut directement incorporée à la campagne promotionnelle du film et des suivants dont Infinity War[18].  Nous assistons ici à une remarquable hybridation des imaginaires de la culture mondialisée cinématographique. Entre super-héros, paysage urbain et mondialisation de la culture, l’édifice imaginaire devient un bâtiment, mais aussi un site touristique employant comme élément promotionnel pour les films Avengers, un logo correspondant à l’univers Marvel, le A de Avengers.

Photographie de portable retouchée montrant la Tour Menara TM Tower, 2012.

Un second exemple vient de la création des légendes urbaines ou bien des facilités qu’ont les touristes à comparer de continent à continent les infrastructures et bâtiments par des raccourcis reposant sur la physionomie et la ressemblance aux premiers abords, avec la Bitexco Financial Tower à Hô Chi Minh-Ville (Saïgon) au Vietnam, les articles de presse locale voire internationaux peu sérieux font tout de suite l’assimilation entre le film Avengers et la Tour Stark : « le bâtiment qui aurait servi ou bien a servi de modèle pour le film » [19], il en est de même de visiteur remarquant une ressemblance du  paysage urbain, ceci devenant parfois viral dans le domaine des réseaux sociaux. À cela, le fait de voir apparaître des projets comme Wakanda Smart City au Rwanda nous fait entrevoir que les films impulsent aussi des imaginaires et des correspondances aisées ou faciles pour les populations locales et certains dirigeants africains voulant créer leur propre utopie comme récemment au Sénégal avec le célèbre chateur Akon devenu promoteur immobilier[20].

Wakanda smart city au Rwanda 2029, État africain et projet d’une ville de plus de 35 000 habitants. Gouvernement rawandais.

Entre réalité, fiction  et ancrage territorial des films du MCU, qui aurait pu croire que ce que nous avons vu sur nos écrans trouve une réalité autre, mais avec des points en parallèle à savoir les confinements mondiaux entre janvier 2020 et mars 2021 de par le monde ayant comme conséquence au plan urbain des expressions et des montages vidéos faisant penser aux premières scènes d’Avengers Endgame : Ant-Man déambulant dans des rues quasi désertes de San Francisco, voyant des affiches rappelant les disparus, la situation de traumatisme par l’enfant en vélo et sa question « que s’est-il passé ? », mais aussi le mémorial aux disparus qu’il découvre avec son nom près du Golden Gate, mémorial présent actuellement en Espagne et rappelant par contre les morts de la Covid19 et enfin – et surtout –  une ville à l’arrêt, abandonnée ou la nature reprend ses droits comme pour les maisons de San Francisco recouvertes d’herbes avec une incrédulité à voir une ambiance urbaine sans âme. Il en est de même pour le stade Citi Field des New York Mets qui est vide dans le film Endgame ou bien le stade de la Boca Juniors à Buenos Aires et la « City of Silence » à Lyon[21]. Des rues désertes ou quasiment désertes avec quelques habitants, une impression hagarde, d’incompréhension et de questionnement à l’échelle mondiale au même titre que l’après claquement des doigts de Thanos. Dans ce cas, un monde de super-héros et d’événement extraordinaire par la disparition de la moitié de l’humanité devenant une réalité autre, celle d’un confinement avec « l’évaporation » des populations comme Nick Fury dans les rues de New York.

Du Thanos finger snap à l’effet de la Covid19 dans les rues des métropoles mondiales 2020.

Photomontage comportant, Toulouse vidé de ses habitants, des affiches demandant plus de liberté et questionnant la normalité, le mémorial au mort du covid19 à Madrid, le mémorial des disparus dans Avengers Endgame, la végétation reprenant ses droits à San Francisco avec un enfant à vélo seul, un stade vide en France, le stade vide des New York Mets, Nick Fury se décomposant. Photomontage de Patrice Ballester.

Il reste aussi un effort très important des scénaristes du MCU à ancrer leurs personnages dans l’histoire mondiale et notamment celle des expositions universelles américaines comme porte d’entrée des super-héros et notamment Steve Rogers au sein de l’armée américaine. Les scénaristes ont parsemé une bonne partie des films de références aux expositions universelles pour montrer le lien très fort entre le père – Howard Stark – et le fils – Tony Stark – lors des différentes démonstrations de matériels et de voitures de la Star Industries pour l’exposition universelle de 1943. Toutes ces inventions donneront naissance au début des années 2000 à la célèbre armure d’Iron Man dans l’univers filmique. D’ailleurs, c’est au pavillon de l’armée américaine de ladite exposition universelle de 1943 que le futur Captain America, alors jeune gringalet, rentre pour s’engager dans les forces de libération de l’Europe. Il y rencontra Bucky et fera face à la menace de Crâne Rouge. Les concepteurs des films ont réussi le pari de superposer à la véritable histoire des expositions universelles en Amérique une autre temporalité et architecture imaginaire qui donne naissance à un fond culturel et scénaristique des films sur Captain America et Iron Man. Les expositions universelles oscillent entre fête du progrès et enjeux mondiaux de la cohabitation pour des nations à partir d’intrigues regroupant les super-héros dans une ambiance architecturale fantasmagorique, onirique et lyrique comme l’entendent souvent les producteurs de ses superproductions hollywoodiennes.

Les nouvelles temporalités urbaines du MCU à travers la réécriture des expositions universelles américaines.

Tickets d’un exposant. 2019. Marvel Studio – Groupe Disney, copyright.

 

La dimension patriotique est puisée à son extrême dans le film Iron Man II : présentant la Stark Expo comme objet de puissance et des délires du fils Stark imitant son père cinquante ans plus tard dans une exposition en 2010 n’ayant jamais existé aux États-Unis mais bien présente en Chine avec Shanghai 2010 World Expo[22].  

Quant à la touristification de la ville et donc son urbanisation et mise en tourisme, mise en récit à travers les super-héros, nous assistons à un long processus qui ne fait que croître pour devenir déterminant parfois pour certaines villes dans le cadre de la sortie de crise de la Covid19 comme pour Paris et son atout majeur en Europe, Walt Disney Resort. Les héros Marvel sont présents à Paris avec « La saison des super héros » à Disneyland. Un événement saisonnier jouant sur toutes les dimensions du divertissement qu’offre les super- héros : shows, restaurations rapides, boutiques, accoutrements et répliques de décors de films innovants interagissent avec le public de plus en plus demandeur suite au succès de la franchise dépassant largement en vente le marchandisage Star Wars. Mais pour plus de 2 milliards de dollars, The Walt Disney Company, spécialiste depuis longtemps de l’exploitation commerciale des parcs d’attraction, voit son CEO, Robert Iger, être reçu par le président de la République française le 27 février 2018 afin d’officialiser un investissement profitable à toute la région parisienne et ses habitants par un acte d’urbanisation et d’extension du bâti très important du resort parisien. Il faut bien rappeler que le projet consiste au doublement du second parc Walt Disney Studios entre 2021 et 2025 et à la construction de plusieurs zones sur des univers cinématographiques attractifs. Enfin, en Asie et Amérique, les parcs Disney comportent déjà ces zones connaissant un très vif succès avec notamment la reprise du film Iron Man I. II. & III. ainsi que Captain America « Stark Expo : Place à un Avenir Meilleur ».  

Il en est de même de l’hôtel « New York » à Marne-la-Vallée. Connaissant une désaffection, la structure trouve dans les héros Marvel, un moyen de redessiner et designer autrement son principal hôtel pour les touristes. Le Disney’s Hotel New York The Art of Marvel devant ouvrir ses portes en 2021, un 4 étoiles recréant l’univers d’une galerie new-yorkaise d’art moderne pour accueillir des œuvres ayant marqué 80 ans d’histoire Marvel, ainsi que de nouvelles créations réalisées en exclusivité pour le grand hôtel. Au total, plus de 300 œuvres créées par plus de 95 artistes y seront exposées donnant une atmosphère de New York à Paris dans un cadre Art-Déco.

Disney Hotel New York, The Art of Marvel, Paris, Publicité pour son ouverture, 2021. Groupe Disney, copyright.

Mais au-delà de Disney, à Las Vegas aussi une attraction s’est faite jour « Marvel STATION ». Elle contribue à aménager la ville par les loisirs et la culture de masse. À ce titre, les loisirs Marvel contribuent à créer la ville contemporaine et ses espaces de divertissement par des circuits touristiques anciens faisant reposer une visite du New York de Stan Lee et Jack Kirby avec les lieux fictifs des adresses de nombreux héros et paysages typiques des comics. Mais depuis peu, les lieux des films MCU s’ajoutent aux circuits et donne un sentiment de dédoublement de la ville[23]. Dernier point, on voit de plus en plus souvent apparaître des références au MCU dans des projets immobiliers comme à Auzeville-Tolosane comportant le nom publicitaire pour une résidence de logement « Les Portes d’Asgard », un nom en total contradiction avec la toponymie de la région et des noms de résidence faisant référence au passé rural de la banlieue de Toulouse comme « Le clos »…

Une hypothèse se fait jour, les liens entre le cinéma et les images véhiculées par la mondialisation changent notre perception du monde, une marvelisation des villes s’observent, à savoir : a/ sur des bases de culture populaire et de film, série ou autres supports, la ville devient une scène pour des appareillages multiples, b/ de grands groupes financiers ou du divertissement déclinent cette expression populaire dans les villes, c/ cela s’inscrit dans des parcs, des hôtels, des quartiers, des murs de ville avec des publicités officielles ou des tags, d/ les grandes métropoles mondiales sont des sources d’inspirations visuelles, une uniformisation se perçoit à l’échelle du monde.

Les Portes d’Asgard, 2019, publicité d’un promoteur immobilier toulousain.

« Vous n’êtes pas les bienvenue dans cette cité et sur cette planète, quittez cette ville », le Doctor Strange aux acolytes de Thanos dans Avengers Endgame, c’est certainement tout le contraire qui se produit dans la réalité et les imaginaires de la pop culture ; la ville, ses images et les réciprocités des perspectives entre économie marchande et demande d’un nouvel univers cinématographique sont prégnantes. À ce titre, c’est un nouveau genre qui s’enracine à l’échelle mondiale, mais qui s’apparente peut-être à la destinée du cycle de vie et « de mort » ou renouveau du Western à Hollywood, dont d’ailleurs ces films empruntent parfois des éléments. La ville dans les films de super-héros est bien devenue un élément représentatif de la mondialisation des cultures exploitables au plan marchand et avec de nombreux débouchés. La capacité à durer des super-héros et leur réinterprétation à l’écran depuis le début des années 1980 fait d’eux des référents artistiques patrimonialisés dans une culture populaire mondialisée. Il s’agit d’une mythologie urbaine et cosmologique contemporaine représentative d’une vision de la ville comme ressource à protéger et danger à lui éviter. La cité s’alimente de son propre dynamisme et énergie positive tendant parfois vers de la propagande ou un soft power inspirant les héros, la ville et ses habitants sauvant parfois ces surhommes comme Spiderman dans une rame de métro aérien par une foule toute dévouée à lui. Le super-héros évolue principalement en ville et véhicule une image de celle-ci ambivalente, entre un environnement spectaculaire et parfois simpliste des rapports humains oscillant entre esthétisme et imaginaire parfois rattrapé par la réalité de la complexité du fait urbain et de nos vies « covidée ».  Le succès commercial, la fascination et l’influence culturelle qu’ils proposent peuvent parfois se résumer dans l’identification, le regroupement et la catégorisation de ces villes essentiellement américaines dans le cadre d’un ancrage spatial mais aussi temporel rappelant l’histoire de l’Amérique et de ses grandes métropoles en déshérence ou repentance[24]. En soi, le super-héros est une incarnation d’un idéal en quête de la protection de ses habitants et de leurs villes.

Patrice Ballester


[1] Le super-héros dispose d’une double identité au sein de la cité : une vie sociale et une vie d’aventure. La ville rend la structure scénaristique du personnage plus « humaine », disons en phase avec les réalités du moment. Stan Lee impose à tous ces scénaristes progressivement d’intégrer le super-héros dans la société avec des soucis de la vie quotidienne et des handicaps parfois issus de ses pouvoirs. Cf.  Lee, Stan, and George Mair. Excelsior—The Amazing Life of Stan Lee. New York: Fireside, 2002. – https://www.nytimes.com/2018/11/14/nyregion/stan-lee-death-nyc.html – au 11/01/2021.

[2] https://www.marvel.com/movies – “MOVIES – Journey into the cosmic depths of the mighty Marvel Cinematic Universe!”.

[3] McSweeney, Terence, editor. 2018. Avengers Assemble! Critical Perspectives on the Marvel Cinematic Universe. New York: Wallflower Press.

[4] Richard J Gray and Betty Kaklamanidou (eds) (2011) The 21st Century Superhero: Essays on Gender, Genre and Globalization in Film, McFarland & Company. Introduction : 1-14.

[5] Havard, Cody T., Rhema D. Fuller, Timothy D. Ryan, and Frederick G. Grieve. 2019. “Using the Marvel Cinematic Universe to Build a Defined Research Line.” Transformative Works and Cultures, no. 30. https://doi.org/10.3983/twc.2019.1837. Sans oublier l’importance du transmédia storytelling avec la multitude de série émanant du MCU attendue pour 2021/2024.

[6] Les villes asiatiques avec des affiches publicitaires LED rendent plus original et plus dépaysant pour le spectateur habitué à New York les aller-retour comme du Wakanda à Busan pour le film Black Panther (2018).

[7] Pierre Sorlin, « La ville peut-elle être une scène ? » in Les Annales de la recherche urbaine, no85 : Paysages en ville. Plan urbain. 2001. http://www.annalesdelarechercheurbaine.fr/la-ville-peut-elle-etre-une-scene-a228.html

[8] Spider-Man est bien l’enfant de New York, malgré tous les drames de sa vie et persévérance-croyance dans un avenir meilleur, cette ville est un moyen de motivation et d’identification aisée pour toute la jeunesse lisant le comics. Et même quand dans le MCU Spider-Man veut partir en banlieue et se voit dans l’impossibilité d’utiliser sa toile, car – absence de tour– il en devient attachant et une partie intégrante de la ville, Spider-Man Homecoming (2017). Il est dépendant de sa ville, de la ville…

[9] John Lawrence, and Robert Jewett (2002). The Myth of the American Superhero, William B Eerdman Publishing Co. Alex Nikolavitch –  Mythe & Super-héros, Les Moutons électriques, collection Bibliothèque des miroirs, 2020; Alex Nikolavitch, Les Dieux de Kirby, Confidentiel, 2015.

[10]  Cf. Tobias c. van Veen, « Destination Saturn: Sun Ra’s Afrofuturist Utopias in the Art of Stacey Robinson », TOPIA: Canadian Journal of Cultural Studies,‎ 2 octobre 2018, p. 149 (DOI 10.3138/topia.39.07 – Anderson, Reynaldo. 2018. “On Black Panther, Afrofuturism, and Astroblackness: A Conversation With Reynaldo Anderson.” The Black Scholar, March 13. https://www.theblackscholar.org/on-black-panther-afrofuturism-and-astroblackness-a-conversation-with-reynaldo-anderson/ – Loughrey, Clarisse, Black Panther brings Afrofuturism into the mainstream, The Independent, 14 février 2018. https://www.independent.co.uk/arts-entertainment/films/features/black-panther-afrofuturism-ryan-coogler-definition-explainer-watch-release-date-a8209776.html

[11] Cf. Feuillet de présentation de sa réflexion prolixe : https://medium.com/@angiedavis/cim405-1-case-study-analysis-the-creative-process-of-hannah-beachler-4ce47707f91e au 11/01/2021. – Et Marvel Edition,  Black Panther : The Art of the movie – ArtBook, 2018. 240 p. – https://www.fxguide.com/fxfeatured/black-panther-building-wakanda/ au 11/01/2021. – https://www.matechi.com/architecture-of-wakanda au 11/01/2021.

[12] Cf.  https://lifemag-ci.com/chez-nous-pays-la-pyramide-dabidjan-plateau/  au 11/01/2021.

[13]“They are great for shooting additional angles that give film editors more options for creating powerfully immersive and kaleidoscopic views of action scenes.”https://www.eoshd.com/news/canon-5d-mark-ii-and-7d-used-to-shoot-action-sequences-on-the-avengers/ – Cf. aussi   https://www.zone-numerique.com/news-10952-captain-america-the-first-avenger-filme-en-partie-au-canon-eos-5d-mark-ii.html  au 11/01/2021.

[14]  https://www.effets-speciaux.info/article?id=672  au 11/01/2021.

[15] Augoyard, Jean-François, « La vue est-elle souveraine dans l’esthétique paysagère ? »,  Le Débat, mai-août 1991, n°65, 11- 24. Roger Alain, La théorie du paysage en France (1974-1994). Paris, Ed Champ, Vallon, 1995. –  Augustin Berque, définition du terme « Lieu » Arts, écologies, transitions. Construire une référence commune sous la direction d’Isabelle Ginot, Makis Solomos et Roberto Barbanti. Vers un monde éco-techno-symbolique.

[16] https://philsaunders.artstation.com/projects/2oZlY?album_id=804031- au 11/01/2021.

[17] Marvel’s Edition, Iron Man 3: The Art of the Movie, 2013.

[18]https://www.youtube.com/watch?v=Z-d5DcVOzks au 11/01/2021. On notera la volonté de présenter la tour comme dans des scènes d’Avengers avec une musique entraînante rappelant le film – https://www.youtube.com/watch?v=A1GxOuhY0SQ au 11/01/2021 – https://www.youtube.com/watch?v=td2nBLgBV2k au 11/01/2021

Voir aussi les articles de la presse locale confortant les légendes urbaines. https://www.feedme.com.my/avengers-tower-in-kl-menara-tm-beams-up-avengers-logo-last-night/  – https://www.nst.com.my/news/nation/2018/04/361935/tm-tower-transforms-avengers-stark-tower-local-fans-go-berserk au 11/01/2021.

[19] https://www.ledevoir.com/vivre/voyage/372587/ho-chi-minh-ville-retour-a-saigon  – au 11/01/2021.  Ou bien sur le site de TripaAdvisor : https://www.tripadvisor.fr/ShowUserReviews-g293925-d2037764-r622073054-Bitexco_Financial_Tower-Ho_Chi_Minh_City.html

« Vue magnifique, prix élevé mais calme et au milieu de la frénésie de la ville …Elle donne une Skyline moderne à la ville et ressemble à la tour Stark-Avengers de Tony Stark-Iron Man. Date de l’expérience : juillet 2018 ».

[20] https://www.lepoint.fr/afrique/rwanda-wakanda-ce-projet-de-ville-100-durable-a-5-milliards-de-dollars-17-06-2019-2319377_3826.php – au 11/01/2021. «  Le pays des mille collines semble bien parti pour porter le défi de la dynamique des Smart cities sur le continent. Le Rwanda a déjà mis sur pied son projet Green City Kigali rebaptisé Wakanda en référence au royaume utopique et ultra technologique propulsé par le film Black Panther de l’univers Marvel ». Voir aussi https://www.culturebene.com/57746-le-rwanda-cree-son-wakanda.html – au 11/01/2021. https://www.youtube.com/watch?v=WsvgiwCqkgU – au 11/01/2021. https://lanouvelletribune.info/2020/11/wakanda-city-la-future-ville-ghaneenne-de-pelerinage-des-afro-descendants/?cn-reloaded=1 – au 11/01/2021.

[21] https://www.lyonmag.com/article/106560/8220-lyon-city-of-silence-8221-une-video-tournee-par-un-drone-pendant-le-confinement  –  https://actu.fr/auvergne-rhone-alpes/lyon_69123/coronavirus-lyon-une-video-filmee-drone-immortalise-ville-deserte-plein-confinement_32561991.html  au 11/01/2021.

[22] Ballester Patrice, (2014), «Leisure parks from the Spanish universal and international exhibitions» in Loisir et société Leisure and society, Thinking the city for leisure: new trends in urban planning n°37 vol.1, Francis & Taylor, Quebec, pp.38-57.

[23]  Cf. The Marvel Comics Guide to New York City Paperback – Illustrated, 2007. Mais aussi https://www.hospitalitynet.org/announcement/41000477/disneys-hotel-new-york-the-art-of-marvel.html –  https://www.tripadvisor.fr/Hotel_Review-g1182377-d262678-Reviews-Disney_s_Hotel_New_York_The_Art_of_MarvelChessy_Marne_la_Vallee_Seine_et_Marne_Ile_de.htmlhttps://www.stationattraction.com/  –  https://www.newyorkcity.fr/visite-super-heros-a-new-york/  –   au 11/01/2021. 

[24] Alain Mons, « La ville ou l’espace de l’errance. Cinéma question actuelle dans des mondes inventés » in L’urbain et ses imaginaires, Patrick Baudry et Thierry Paquot (dir.), p. 113-121.